Philippe Pastor Âme Brûlée

L’artiste installé à Monaco présente ces arbres calcinés, douloureux rappel à l’actualité. Portrait d’un homme engagé.

Par Caroline Mangez

  Du haut de leurs 7 mètres, sculptés, ils paraissent implorer en vain le ciel incandescent. Brandis comme des totems devant l’hôtel de Paris au 73e gala de la Croix-Rouge à Monaco, « Les arbres brûlés» de Philippe Pastor font cet été 2022 cruellement écho à la réalité. « Bientôt, si on ne fait rien, dit-il, il n’y aura plus de forêts. Plus de 350 millions d’hectares disparaissent chaque année, souvent par négligence humaine. Le monde est en feu et ça me rend fou.»

Ces œuvres sont
les symboles
de la lutte contre la déforestation

Vingt ans que l’artiste s’époumone à dénoncer une catastrophe si fréquemment annoncée qu’elle semble aussi vite oubliée. En 2003, la bergerie de l’arrière-pays varois où il peint est encerclée par les flammes. Des troncs de pins calcinés, il tire des œuvres qui deviendront symboles de la lutte contre la déforestation. Ceux de la première série sont noirs, carbonisés, taillés à la main; d’autres viendront, ornés de plaques colorées ou moulées dans du bronze.

Monumentales, les installations sont présentées partout dans le monde: de la gare du Nord à Paris à l’aéroport de Nice, de New York à Singapour, sur le parvis du siège des Nations unies à Nairobi. Depuis juin, Saint-Paul-de-Vence accueille l’une d’elles, carrefour Saint-Roch. La commune, qui vit sous la menace des incendies, est aussi un lieu chargé de souvenirs pour Philippe Pastor: «J’y allais souvent. Je connaissais le monde de la Fondation Maeght. Je restais à la Colombe d’or, dans une petite chambre. César à côté me surveillait un peu, moi aussi. Sur cette sculpture, j’ai eu envie d’ajouter ces couleurs primaires, en référence à Matisse, Calder et Miro.»

Son atelier est en Espagne, mais Monaco demeure son point d’ancrage. Même si depuis longtemps son combat, passant par l’art, l’intéresse bien davantage que ces immeubles hérités de ses ancêtres ou ces grues, au pied du Rocher, arborant encore leur nom. Amis d’enfance du temps où leurs pères bâtissaient une enclave pour milliardaires à grand renfort de béton, Philippe Pastor et Albert II se sont, chacun à sa manière, tournés vers la sauvegarde de l’environnement.

« Il y a ceux qui tirent des plans sur la comète et ceux qui replantent », explique Pastor, qui, au travers d’associations, l’a fait notamment à Madagascar et en Thaïlande. Façonnées à la lumière du soleil, peintes au plus près de la terre pour être balayées par les éléments, comme « Les arbres brûlés», ses peintures incarnent une vision: celle de la destruction de notre planète par des hommes dont il fuit la compagnie. À eux, Pastor préfère ses chiens, les motos ou Léo Ferré, poète anarchiste né à Monaco en 1916 qu’il écoute en travaillant. « On a fini par devenir copains, analyse-t-il, ensemble on prend des nouvelles de Baudelaire … » Ces trois-là partagent un peu de poésie, du spleen à revendre et cette lucidité qui, écrivait Ferré, « mène à la solitude ». Sa prochaine série de tableaux, Pastor l’a baptisée « La fin du monde». Un constat désespéré jeté sur des toiles d’une beauté fascinante.